Une fois n’est pas coutume, notre coup de coeur prend la direction d’un double disque qui n’est pas exempt de défauts – mais y a-t-il des disques “parfaits” ? La faute à un groupe qui tente, qui essaie, qui tâtonne et qui le plus souvent touche au but. Après l’Indigo 4 de Gianluca Petrella, voici venu le quartette Technicolor de Giovanni Maier. Contrebassiste italien qui a escorté Enrico Rava et Cecil Taylor, son projet tout de scaphandriers vêtu se fragmente en deux disques aux tenants et aboutissants bien distincts. Le premier, “A Turtle Soup”, s’aventure dans le psychédélisme, marqué au fer noir par un groove sombre et hivernal ponctué de montagnes russo-transalpines. Il voit s’affronter les deux excellents claviers du quartette dans un remake nourri aux amphétamines du duel John Medeski/Matthew Shipp (un Prometus martial ou un redoutable San Giovanni). Le second, “Featuring Marc Ribot” se présente sous les atours d’une confrontation entre deux invités : à ma gauche Marc Ribot, à ma droite Simone Massaron. Effet décoiffant garanti. Rock, expérimental, bruitiste, cha-cha-cha (Old File), Giovanni Maier n’a aucun tabou et s’y autorise des breaks tout droit sortis d’une kermesse spatiale (Segovia). Les guitares de ses invités ne se gênent pas pour accentuer ce versant futuriste : sur El Matador, elles crient comme des saxophones. Tout l’intérêt de ce double disque réside dans cette addition magnanime de débats dichotomiques, d’équations à deux inconnus ponctués de bruits nomades, de rythmes binaires triturés jusqu’à perdre de leur systématicité. Certes on y trouve à boire (des riffs aux hormones), à manger (un génial Ribot sur This Is My Voice) pour des semaines et des semaines, mais l’occasion est trop belle de faire des provisions en pouvoir d’élasticité des écoutilles avec ce double album jouissif et transgressif.
Mathieu Durand